Tell me I'm wrong. CHARLIE & NATHANIEL

Neuf heures. Nathaniel ne pouvait que très rarement profiter de telles matinées, sans rendez-vous ni réunion inscrites à son emploi du temps pourtant si chargé. Cette fois, il était libre de vaquer à ses propres occupations. En temps normal, le jeune homme se serait plus à retenir sa fiancée au lit avant de la laisser se rendre au journal. Cette fois pourtant, cette idée ne lui traversa pas l'esprit. Et pour cause. Jayden le laissait croupir sur le canapé du salon depuis plusieurs jours. Loin de lui l'idée de s'en plaindre, il était plutôt soulagé qu'elle le laisse encore dormir sous le même toi qu'elle.

Dix heures. L'avocat n'avait pas traîné en cette chaude matinée. Oubliant volontairement le petit-déjeuner, il avait directement filé à la salle de bain afin d'être prêt et plus que présentable pour une énième partie de golf. En réalité, Nathaniel n'appréciait pas tellement ce sport. C'était la seule distraction que son travail lui permettait. Aujourd'hui, c'était un client qui l'invitait à une petite partie pour le remercier d'un procès remporté alors que l'issue était inespérée. Nathaniel n'avait eu d'autre choix que d'accepter, plutôt contrarié que cette invitation tombe un tel jour.
Installé dans sa voiture de fonction, le jeune homme écoutait la radio d'une oreille distraite, plus occupé à observer son reflet dans le rétroviseur. « […] aujourd'hui avec les dernières actualités people [...] » Trop peu habitué à écouter radio4 mais plutôt à téléphoner constamment, Nathaniel se souvenait tout de même avoir eu plaisir à l'écouter par le passé. La radio diffusait toujours des chansons qu'il aimait et qui se différenciaient des listes de diffusion des autres stations. Une caractéristique qui ne lui avait pas échappé. Son rendez-vous n'étant fixé que plus tard, Nathaniel choisit de passer par les hauteurs de Los Angeles afin d'éviter le flot de la circulation et d'observer à loisir la beauté de cette ville tant appréciée. « [...] vous avez peut-être louper le rendez-vous du lundi soir, l'occasion pour nous de revenir sur LE fait marquant de la soirée [...] vous connaissez tous la célèbre Charlie Evans autant pour ses rôles remarqués au cinéma que pour ses tribulations quotidiennes » L'évocation de ce nom n'évoqua absolument rien à Nathaniel, plutôt ignorant sur de tels sujets. Il ignorait tout ou presque de ce qui représentait la plus grosse industrie de l'Etat et une des plus importantes de tout le pays. « [...] invité surprise sur le plateau de l'émission, Kendall Evans, sort enfin de son silence et avoue être le père de l'actrice [...] »What the fuck ?! Dès qu'il entendit le nom de son père, Nathaniel sorti de sa léthargie et composa aussitôt le numéro de son ex-femme. « C'est moi. Trouve moi l'adresse d'une certaine .. Charlie Evans. Mieux, trouve moi où elle est en ce moment même. » Autoritaire ou bouillonnant de colère, Nate n'en savait rien sinon qu'il était perdu. Etait-il en train de rêver ou bien s'agissait-il d'une mauvaise blague ? Sans une nécessaire recherche approfondie, Eleanor pu le renseigner sur le champ. Visiblement, ses connaissances cinématographiques étaient meilleures que les siennes. Elle lui indiqua l'adresse d'un studio de cinéma et raccrocha sans plus attendre, vexée du ton employé. Qu'importe. Tout en conduisant à toute vitesse afin de rejoindre le studio de cinéma en question, Nathaniel décommanda son rendez-vous en prétextant une migraine persistante.

Une fois aux abords du studio, Nathaniel se présenta comme l'avocat - surprise - de Charlie et fut amené directement sur le lieu de tournage. Par chance, la dernière prise venait d'être tournée avant la pause et l'assistante de tournage le conduisit innocemment vers la loge réservée à la célèbre actrice. Seul, Nathaniel ne prit pas la peine de taper avant de s'introduire dans la loge. Il ne connaissait ni n'avait déjà vu Charlie mais il prit le pari qu'il s'agissait de cette blonde assise face à son miroir. « N'avez-vous rien trouvé de mieux qu'un employé de banque à la retraite pour jouer le rôle du père ingrat ?! »

Charlie avait une furieuse envie de hurler. Elle commençait sérieusement à en avoir assez de ces petits regards en coin que lui lançaient ses collègues. D'accord, elle avait à nouveau attiré l'attention de la presse sur elle en quittant le plateau d'un talk-show en plein milieu d'une interview alors qu'on pensait lui faire plaisir en lui présentant son père, mais ce n'était pas intentionnel, et elle s'en serait bien passée. Alors ce n'était vraiment pas la peine d'en faire tout un plat, vraiment. Se tenant soigneusement aux côtés de son garde du corps, elle tentait tant bien que mal de ne pas répondre aux nombreuses attaques chuchotées qu'elle entendait malgré elle. « Oh tu sais quoi? Mon papa chéri m'a rendu visite l'autre jour. Et tu sais ce que j'ai fait? Je lui ai sauté dans les bras et nous avons passé un après-midi super ensemble. » avait d'ailleurs lancé une actrice blonde pile au moment où la jeune femme était arrivée à son niveau. S'il s'était agi d'un jour comme les autres, Charlie ne se serait pas gênée pour fermer le clapet de cette petite prétentieuse avec laquelle elle partageait l'affiche de son prochain film, mais elle se contenta tout bonnement d'ignorer sa remarque, non sans lui avoir jeté un de ces regards froids et hautains dont elle avait le secret. Elle ne souhaitait pas provoquer un nouveau scandale, et retrouver encore une fois l'ensemble de ses frasques étalé au vu et au su du monde entier. La célébrité, ça pouvait être drôle deux minutes, et là, elle n'en pouvait plus.

Elle éprouva un réel soulagement lorsqu'elle se retrouva dans l'intimité de sa loge. Elle s'assit lourdement sur un fauteuil qui faisait face à un miroir. Elle se contempla quelque secondes, puis, ne supportant plus son reflet, qu'elle trouvait particulièrement faux comparé à l'état de son esprit, elle sortit une cigarette du paquet qu'elle avait dans son sac et l'alluma. Charlie savait parfaitement qu'il était interdit de fumer dans les locaux, mais elle n'en avait franchement rien à faire. Elle avait vraiment besoin de sa dose de nicotine, et le plus tôt était le mieux. Elle s'abandonna lentement à l'apaisement qui la gagnait petit à petit, puis écrasa son mégot dans le cendrier et ferma les yeux. Peut-être que si elle s'endormait, à son réveil, tout aurait disparu. Elle redeviendrait Charlie, la future Lindsay Lohan et son soi-disant père serait encore porté disparu et inconnu au bataillon. La jeune femme ne savait même pas à quoi cet homme ressemblait, et honnêtement, elle ne voulait pas le savoir. Comme c'était étrange que son père, qui l'avait abandonnée à sa naissance, qui n'avait jamais daigné prendre de ses nouvelles, qui n'avait jamais donné des siennes, qui ne savait peut-être même pas qu'il avait une fille, se réveille miraculeusement dix-neuf ans trop tard, alors que la pestiférée qu'il avait engendrée était devenue riche et célèbre... En plus, d'être un salaud, son père était un profiteur. Super. Vraiment merveilleux.

Le claquement de la porte de sa loge la tira de ses rêveries, et elle sursauta lorsqu'elle rencontra le regard d'un inconnu dans sa glace. Un inconnu qui n'avait pas l'air très content. Comment avait-il réussi à entrer? Les employés du studios avaient pour ordre de ne laisser passer que des personnes appartenant à l'entourage d'un acteur, mais malgré ses efforts, Charlie ne parvint pas à mettre un nom sur son visage. Elle s'apprêtait à lui lancer qu'il s'était trompé de loge, mais il la coupa dans son élan. « N'avez-vous rien trouvé de mieux qu'un employé de banque à la retraite pour jouer le rôle du père ingrat ?! » Hein? La confusion prit possession des traits de l'actrice. Qui était cet homme? Et qu'avaient-ils tous avec son père à la fin? A court de répliques, elle finit par faire ce qu'elle faisait le mieux. Se montrer insolente. Elle se leva donc, et avec un sourire narquois, elle lui tendit la main. « Bonjour, merci je vais très bien et vous? » La demoiselle ne put s'empêcher de le détailler. Il était plutôt pas mal dans son genre, sur la trentaine, et sa tenue décontractée sans tout à fait l'être indiquait clairement que cet homme là n'avait aucun souci financier, au contraire. Au moins, ce n'était pas un fou qui en voulait à son argent. Son sourire s'élargit, et elle continua sur sa lancée. « Vous savez, vous devriez frapper avant d'entrer. J'aurais pu être nue, et la situation aurait vraiment été embarrassante. Et j'ai un trou de mémoire, c'est quoi votre nom déjà? »

Tell me I'm wrong. CHARLIE & NATHANIEL

En réalité, il ne s'agissait que de l'âme d'un petit garçon rongée entre appréhension et incompréhension. Nathaniel n'apportait généralement qu'une importance relative à ce qu'il entendait dans les médias, et il était bien placé pour savoir que les grands titres ne reflétaient que très peu la réalité. Pourtant, ce matin-là, entendre le nom de son père à la radio ne suscita aucun doute en lui. C'était à la fois étrange et évident. D'un côté, Nate ne voulait pas y croire. Comment son père aurait-il pu lui cacher une telle chose, aussi longtemps ? Et de l'autre, certains souvenirs troubles lui revenaient en mémoire avec une explication à la clé.
L'empressement dont il avait fait preuve - sur la route puis aux studios de tournage - démontrait à quel point cette nouvelle le troublait. Chose qu'il ne voulait aucunement montrer. Ce qu'il parvint à faire de la plus égoïste des manières : pénétrer sans invitation dans la loge de cette actrice renommée dont le nom ne lui était jamais parvenu jusqu'à ce matin. Néanmoins, sa fierté venait d'atteindre son paroxysme puisqu'il était parvenu à déjouer leur sécurité - somme toute relative - en se faisant passer pour son avocat.
Son sourire satisfait venait rivaliser avec ses sombres prunelles, emprunt d'une certaine colère. Il ne lui reprochait rien, comment aurait-il pu ? Il ne la connaissait pas. Toutefois, il lui fallait quelqu'un sur qui décharger toute cette frustration et Charlie était la seule personne à sa disposition, après que son ex-femme lui eut gentiment raccroché au nez pour s'être montré odieux.
Curieux d'observer sa réaction, Nathaniel n'accorda aucune attention à la loge ni à quoi que ce soit d'autre. Si, d'une quelconque manière que ce soit, elle devait être liée à lui, alors il ne devrait avoir aucune difficulté à retrouver quelques traits de caractère commun. Nathaniel venait de la mettre dos au mur en agissant de la sorte, volontairement afin de la prendre au dépourvu. Il voulait la voir troublée et prendre ainsi l'ascendant sur la conversation. Si conversation il y avait car il ne doutait pas qu'elle puisse le sortir de sa loge aussi vite qu'il y était rentré. Le jeune homme ne perdit aucunement de sa superbe lorsqu'elle s'exprima enfin. Visiblement, elle entrait dans son jeu avec tout l'entrain d'un enfant prêt à déballer un cadeau. Ignorant superbement sa main tendue, Nate la laissa finir sa prose malicieuse. Sans aucun doute possible, Charlie venait de se tirer à merveille de cette situation des plus surprenantes. Malgré tout le mépris qu'elle lui évoquait - oui, elle restait une actrice et rien de plus dans un paysage médiatique saturé - Nathaniel salua cette réaction à la fine pointe de ce qu'elle faisait probablement le mieux. « Dans ce cas, j'aurai envoyé la photo à un magazine à scandales. » Et il l'aurait fait .. ou aurait fait mine de le faire. En tout les cas, il n'aurait ressenti aucun scrupule à ne montrer aucune once d'humanité. Ce n'était pas son genre lorsqu'il souhaitait se présenter de la plus exaspérante des manières. Souriant bêtement comme le vendeur de porte-à-porte prêt à arnaquer sa proie, Nate laissa s'écouler quelques secondes avant de reprendre. Il voulait ménager son petit effet, ou plutôt le raz-de-marée qu'il s'apprêtait à provoquer, à moins que Charlie n'accorde aucune importance aux rumeurs qui l'entouraient depuis la veille au soir. Mais avant, il désirait jouer avec ses nerfs et la pousser dans ses derniers retranchements. Alors, dans son allure la plus provocante, il sortit son smartphone de la poche de son pantalon et fit mine de vouloir prendre une photo d'elle, ajustant le cadre en se mouvant de droite à gauche comme pour obtenir le meilleur angle possible. « Tu peux te déshabiller je suis prêt. » Avant qu'elle ne puisse envoyer valser son téléphone, Nate le rangea rapidement non sans avoir préalablement scruter son visage. Puis, d'un naturel factice, il se présenta à elle. Finalement, c'était plus facile qu'il ne l'avait pensé, seulement parce qu'il faisait mine de ne pas y accorder tant d'importance. « Nathaniel Evans. A en croire la presse et l'embarras de mon père, je devrais me présenter comme ton demi-frère. Contente ? »

Charlie avait du mal à cerner l'homme qui se tenait en face d'elle, ce qui représentait une première. Côtoyant des acteurs à longueur de journée, étant elle-même passée maître dans l'art du mensonge et de la dissimulation, elle n'avait habituellement aucun mal à décerner les réelles intentions d'une personne. Mais cet homme jouait dans un tout autre terrain, et malgré son sourire factice qui, de loin, apparaissait bienveillant, elle voyait clairement qu'il était en colère. Il allait sans doute lui révéler le motif de sa visite, sauf que Charlie n'avait aucune envie de le connaître. Passé le premier moment de surprise et de curiosité, elle souhaitait juste qu'il s'en aille, même si de toute évidence, monsieur ne semblait pas pressé de partir.
Elle décida alors de rentrer dans son jeu – que pouvait-elle faire d'autre? Il était clair qu'elle ne faisait pas le poids contre lui, et elle constata avec satisfaction que sa petite réplique l'avait surpris – impressionné peut-être. Il s'attendait vraisemblablement à se trouver en face d'une de ces écervelées qui ne savent rien faire d'autre que gémir, se plaindre ou interpeller d'une voix haut-perchée leur garde du corps. Et sans doute était-ce la meilleure chose à faire. Cet homme pouvait être n'importe qui, et jusque là, il ne s'était pas vraiment comporté comme quelqu'un de sain d'esprit. Mais ce qui faisait certainement tout le charme de la jeune actrice était son inconscience teintée d'une naïveté non feinte qui la poussait souvent à faire des choses qu'elle finissait par regretter. C'est pourquoi elle ne dit rien lorsqu'il ignora la main qu'elle lui tendait, et qu'elle lança, en réponse à la remarque de l'inconnu, avec un demi-sourire provocant: « Le monde entier a déjà vu mes fesses, ce n'est pas une photo de plus ou de moins qui me fera peur. » A vrai dire, elle l'imaginait mal envoyer une photo d'elle à un magazine. Elle ne le voyait même pas en acheter un. Et puis, elle était persuadée qu'il était le genre d'homme qui gardait pour soi ce genre de cliché compromettants. La théorie du pervers se confirma, et elle chercha à voir s'il portait une alliance. Manquerait plus qu'il soit marié. Mais avant qu'elle n'ait pu apercevoir quoique ce soit, il avait sorti son smartphone et avait fait mine de se déplacer pour avoir son meilleur profil. « Tu peux te déshabiller je suis prêt. » dit-il, avec un sourire qu'elle qualifia d'effrayant, bien qu'elle n'en laissa rien paraître. Elle se contenta de lui adresser un doigt d'honneur, passablement irritée.
Au cas où il n'avait pas remarqué, elle attendait toujours qu'il se présente.
Comme s'il lisait dans ses pensées, il déclina son identité avec une nonchalance qui fit douter la jeune fille quelques instants. Il avait le même nom de famille que le sien, mais Evans était un patronyme plutôt commun, et elle s'apprêtait à le chasser une bonne fois pour toutes lorsqu'il ajouta qu'il devait plutôt se présenter comme son demi-frère. Elle garda le silence pendant deux minutes qui lui semblèrent interminables, tandis que la solution au puzzle s'imposa dans son esprit. Elle adopta un ton faussement horrifié avant de murmurer: « Co... Comment? Tu veux dire que... J'ai un frère? Mais c'est impossible... J'en ai déjà dix-neuf, douze sœurs et une cinquantaine de prétendus cousins éloignés. » Elle termina sa phrase en secouant la tête et en levant les yeux au ciel. Elle détestait toutes ces personnes qui se faisaient passer pour des membres de sa famille afin d'obtenir des choses d'elle. Elle les voyait défiler tous les jours, et pour le moment, le seul qui avait véritablement retenu son attention était son proclamé père. Quelque chose lui disait que celui-là ne mentait pas, parce que mine de rien, il en fallait du courage pour révéler à l'ensemble des États-Unis qu'il était le salaud qui avait abandonné sa famille à la naissance de sa fille unique pour mener sa vie on ne savait où. Elle soupira, et reporta à nouveau son attention sur le soi-disant Nathaniel Evans. « Écoute, j'ai pas envie de perdre du temps, alors dis-moi ce que tu veux et casse-toi d'ici. Un autographe? Une photo dédicacée? Des places pour l'avant-première? Un chèque? »

Tell me I'm wrong. Nathaniel & Charlie.

Incomplets ou imprécis, ces souvenirs ne lui permirent aucunement d'éclaircir certaines zones d'ombre. Cette soudaine fuite en avant après cette annonce à la radio n'était finalement pas si surprenante. Nathaniel évoluait depuis suffisamment longtemps dans un milieu où le mensonge était roi, l'hypocrisie reine, pour ne rien prendre pour acquis. Pourtant, l'affirmation de l'animateur radio ne lui paru pas montée de toute pièce. Nathaniel pouvait en juger par le seul son de sa voix : il disait vrai. Son empressement devait probablement le rendre soupçonneux sur certains points de son enfance qui n'avaient pas lieu d'être, Nathaniel détenait la certitude que son père lui avait menti des années durant. Il s'en voulait presque de ne pas s'en être rendu compte et d'entretenir, hier comme aujourd'hui, de saines relations avec ce dernier. Son égo démesuré en prenait un coup dont il mettrait longtemps à se remettre.
Sa colère plus que son caractère habituel envers ses semblables le forçait à se conduire comme un véritable enfoiré. Un être détestable que quiconque aimerait voir déguerpir dans la minute, ou encore lui plonger la tête sous l'eau pour ne plus jamais le voir en ressortir. A lui seul il pouvait susciter autant de sollicitudes.
L'expression de son visage lui suffisait pour avouer qu'il appréciait le répondant de Charlie. Et cela le confortait davantage sur cette voie qui ne tarderait pas à devenir une obsession : en se comportant ainsi, elle avait effectivement toutes les (mal)chances d'êtes sa soeur.
Cette perspective ne semblait pas le troubler outre mesure. L'avocat en était encore à tester ses limites, utilisant pour cela son téléphone, et décocha un rire naturel lorsqu'elle lui répondit par l'intermédiaire de son majeur. Nul doute, il l'appréciait déjà. Cette idée, comme tant d'autres avant elle, semblait lui avoir fait oublier les règles de bienséances. Que diable. Il n'en avait que faire. Nathaniel n'oubliait pas la colère qui bouillonnait encore dans ses veines, prêtes à imploser littéralement. Il ne la dirigeait pas contre Charlie mais contre son père, pour l'avoir floué en toute impunité. « Hmm. » Telle fût la réponse qu'il se contenta d'apporter à son insolence lassante. En réalité, il était plutôt sur ses dernières paroles. Avoir exprimé cette nouvelle à haute voix lui avait fait prendre conscience de la réalité de la chose. Visiblement, il la digérait de travers. Sans lui accorder la moindre attention ni consentir à la moindre gêne - pourquoi commencer maintenant ? - Nathaniel s'installa sur un fauteuil, vérifiant au préalable qu'aucun tâche ne viendrait déteindre sur ces vêtements. « Ca tombe bien je ne désire pas non plus perdre du temps en présentation. » Baladant son regard circulaire sur l'ensemble de la loge, il convint que quelques minutes de plus ainsi installé ne seraient pas désagréables. Son sérieux le gagna brusquement. Ce n'était pas tant difficile de paraître sincère lorsqu'on venait de passer pour un véritable connard auparavant. « Dis-moi ce que je peux faire pour te prouver que je dis vrai. Et ensuite je m'en irai. » Nathaniel sorti à nouveau son téléphone de sa poche mais cette fois pour parcourir son répertoire et lui montrer le numéro de son père. Charlie avait toutes les chances de l'envoyer paraître, ce pouvait être un numéro inventé de toutes pièce. Sauf la voix qui sortirait du haut parleur. En attendant de savoir quoi faire pour faire preuve de sa bonne foi, Nathaniel teinta son sérieux d'avocat par une dernière touche de provocation, sur un ton des plus détachés. « Tu étais sérieuse pour les places de l'avant-première ? »

Il était inutile de préciser que Charlie était fatiguée d'entendre parler de son père. Elle ne voyait pas pourquoi elle devait gaspiller ses paroles en bavardant à propos d'un type qui n'avait jamais pris la peine de s'intéresser à elle et qui refaisait surface quand il y voyait quelque chose à gagner. Elle avait vécu dix-neuf ans sans aucune présence paternelle, et elle n'en était pas morte, loin s'en faut. Ce qu'elle n'aurait jamais osé avouer en revanche, c'était qu'elle était totalement perdue. Une partie d'elle ressentait le désir incontrôlable de lui pardonner et de rattraper le temps perdu. De reformer ce couple père/fille dont elle avait toujours rêvé. Cette partie était infime, certes, mais bien réelle, et elle s'évertuait à semer le trouble dans son esprit peuplé de pensées haineuses à son égard. La présence de Nathaniel n'était pas pour arranger les choses, au contraire.
Sa révélation l'avait laissée de marbre. Il était tout simplement impossible qu'elle ait un frère. Si elle en avait eu un, elle l'aurait su – ou du moins, c'était ce qu'elle espérait.
Sa tentative pour le renvoyer chez lui ne semblait pas avoir fonctionné, car sans se formaliser davantage il s'assit en annonçant qu'il ne souhaitait pas perdre son temps non plus. Charlie failli répliquer, mais elle se tut et reprit sa place face au miroir. Peut-être que si elle ne lui prêtait pas attention, il finirait par s'en aller. Vain espoir, parce qu'elle savait elle-même qu'il en fallait plus le décourager. Certains points de son comportement lui rappelaient un peu le sien. « Dis-moi ce que je peux faire pour te prouver que je dis vrai. Et ensuite je m'en irai. » L'actrice, bien que surprise par cette remarque qui lui faisait penser à une capitulation masquée, ne se retourna pas pour autant pour lui faire face. La politesse n'avait jamais été son fort et ce n'était pas du jour au lendemain qu'elle allait changer. « Te fatigue pas, je ne te croirai pas de toutes façons. » finit-elle par dire d'un ton qui se voulait désintéressé.
Elle le vit alors sortir à nouveau son portable et y chercher quelque chose avec une concentration qui piqua la curiosité de la jeune femme. Qu'il ait pour intention de retenter le coup du « je te prends en photo et je l'envoie à tout le monde » la surprendrait beaucoup. Elle ne le connaissait pas, mais elle pouvait aisément affirmer qu'un tel manque d'innovation n'était pas dans ses habitudes. Il reprit la parole, interrompant momentanément ses pensées, et lui demanda si elle était sérieuse en lui proposant des invitations pour l'avant première de son prochain film. Son ton restait sérieux, mais elle y décela une tentative de provocation. Encore. Soit il souhaitait la pousser à bout, où alors il était juste maso. Pour le moment, ce n'était pas bien méchant, mais la patience de Charlie connaissait des limites qu'il valait mieux ne pas franchir. Cependant, une chose l'empêchait de le remettre à sa place: si c'était ce qu'il attendait d'elle, elle ne ferait que capituler et confirmer qu'il avait gagné la partie, ce qu'elle aurait du mal à supporter. Oui, Charlie était d'un naturel enfantin, et oui elle l'assumait totalement. C'est pourquoi, après avoir poussé un soupir, elle répondit: « Non. Ça aurait pu marcher si tu t'étais fait passer pour un cousin éloigné. Si ce que tu dis est vrai et que tu es mon demi-frère, tu es bien trop proche de pa... de ce type pour que je t'offre quoique ce soit. » Elle essaya de masquer la gêne que son hésitation avait provoquée en elle avec un petit sourire. « A moins bien sûr, reprit-elle, qu'il ne t'ait abandonné à la naissance et qu'il t'ait laissé te débrouiller sans jamais prendre de tes nouvelles, ou même t'adresser un signe qui t'aurait fait comprendre qu'il pensait à toi. » Charlie n'aimait pas particulièrement jouer sur la corde sensible, en admettant que Nathaniel en ait une, ni inspirer la pitié ou quoique ce soit de ce genre. Mais elle essayait tout simplement de le tester. S'il était vraiment son frère, il était peu probable qu'il tolère que son père se soit comporté ainsi avec sa mère et elle. Ou alors, il ne tolérerait pas non plus qu'elle insinue que son père n'était qu'un beau salaud, même si son avis sur la question n'était plus un secret pour personne, grâce à sa remarquée sortie en plein milieu d'un show télévisé et retransmis en direct. Sauf que l'idée effleura Charlie que Nathaniel était peut-être son frère, mais qu'il était peut-être aussi comme leur père. Il ne serait venu que dans l'espoir de continuer ce que leur paternel n'avait pu finir, c'est-à-dire, l'escroquer jusqu'à son dernier sous, au nom de la famille unie et soudée qu'ils n'avaient jamais formée.

Charlie & Nathaniel

Comment cet homme - visiblement insensible à nombre d'événements - en arrivait à laisser une certaine faiblesse le dominer ? Sous son excessive assurance, Nathaniel était tout ce qu'il y a de plus faible. Le reflet de ses souvenirs venaient d'être brisé en mille et uns morceaux. Chaque nouvelle question le forçait à piétiner un peu plus ce verre d'ores et déjà brisé. Oui. Il souffrait de ce non-dit de la part de son père. Leur complicité était telle que jamais il n'aurait imaginé pareille situation. Même dans ses rêves les plus fous.
Visiblement plus entêtée que lui - ou tout simplement plus douée dans l'art du rejet - Charlie ne semblait pas sur le point de lui céder telle ou telle affirmation. Non. Imperturbable, elle demeurait maître du rôle dans lequel elle évoluait. Celui de l'actrice dont les considérations sont à mille lieux de celles des autres, bien trop occupée à telle chose pour n'apporter aucun crédit à cette histoire. Nathaniel la comprenait. Quelle autre personne - douée de raison - aurait cru dans l'instant pareille nouvelle ?
Malicieux, Nathaniel s'imagina faire tomber ce masque factice d'indifférence. En vain. Charlie ne cessait de lui renvoyer la balle, pareil à un mur infranchissable. Abandonnant cette première et vaine tentative - après lui avoir tout de même concédé un brin de sérieux - Nathaniel retourna les deux pieds en avant dans le registre de la provocation. Dans celui-ci, il évoluait comme un poisson dans l'eau. « De papa .. tu peux le dire soeurette. » Moqueur, Nathaniel lui adressa un sourire victorieux. Ce faux-pas brisait une première défense mais, comme s'il s'agissait d'un procès, Nathaniel savait que plusieurs assauts seraient nécessaires avant de penser à remporter la bataille. « Dois-je te rappeler que ça .. c'est ton histoire ? » Jamais personne n'avait encore évoqué son père en ces termes. Bien au contraire. Il était tout ce qu'il y a d'exemplaire, un père de famille sans prétention ni artifice qui se comportait adroitement avec ses pairs. Reconnu pour son professionnalisme et son sens de la diplomatie, le père Evans recevait nombre de louanges. Ce qui n'était pas le cas de son fils. Et pas plus que celui de sa fille, brillamment cachée aux yeux de tous. « On dirait que tu as tiré le mauvais numéro avec papa. Dommage, après quelques disputes on aurait peut-être fini par s'entendre. » Le sourire d'un homme qui ne semblait reculer devant rien. Tel était celui qu'il affichait, fier et sûr. Pourtant, ses insinuations sur son père l'agaçaient. Comment pouvait-elle le juger alors qu'elle connaissait seulement son nom ? Oui .. il oubliait peut être que son père l'avait abandonné. Certain que cette conversation n'aurait aucune fin - sinon une éventuelle bataille rangée - Nathaniel se leva enfin, époussetant avec adresse la manche de sa chemise. Glissant une main dans son portefeuille, l'avocat en tira une carte de visite. Imprimée sur un papier épais, chaque mot semblait avoir été étudié avec précision, de même que leur forme. Le visage neutre, il déposa celle-ci sur la table de Charlie. « Je te laisse ma carte. Si tu as la mauvaise idée de la jeter, sache que tu pourras toujours me retrouver facilement. Les enfants Evans sont populaires dans le comté de L.A. » Parvenu à la porte de sa loge, Nathaniel lui adressa un singulier signe de la main et sorti de la même façon qu'il était entré. Avec désinvolture.

En temps normal, l'actrice croyait ce qu'on lui disait sans se poser de questions. Sans être naïve, elle ne perdait pas non plus des heures en réflexions intenses pour savoir si elle pouvait accorder sa confiance ou non. Ce défaut lui avait joué des tours et ce plus d'une fois, mais jamais elle n'avait autant à propos de quelqu'un. Le temps n'était pas normal, et Charlie se retrouvait plus livrée à elle-même que jamais, tiraillée par ses questions sans réponses et ses hésitations constantes. A première vue, elle ne croyait pas Nathaniel, mais la vérité était qu'elle ne voulait pas le croire. L'histoire était trop énorme, trop fantasque, trop invraisemblable pour qu'elle l'accepte sans se manifester. Il s'agissait quand même d'un pan entier de sa vie qui jusque là lui était totalement inconnu. Qu'on lui avait caché. Mais ce qui la perturbait le plus était l'insistance avec laquelle l'homme lui présentait la nouvelle. Elle connaissait très peu de personnes qui ne lâchaient pas le morceau aussitôt qu'elle avait ouvert les hostilités et de toute évidence, il en faisait partie. Ses attaques étaient toutes plus différentes les unes que les autres, et il changeait régulièrement de registre avec une aisance qui la déconcertait. Elle en vint même à se demander combien de facettes il pouvait avoir. Il était passé du sérieux à l'humour, et de l'humour au sérieux, en passant de temps en temps par l'indifférence, et Charlie ne savait plus très bien où elle en était. C'est pourquoi elle avait trébuché sur ses mots. Une seule et unique fois depuis le début de la conversation, mais elle était suffisante pour qu'elle comprenne qu'il était en train de la convaincre. Elle se donna une claque mentale; dans le domaine des lapsus révélateurs, Charlie était une championne. Il était inutile d'espérer qu'il n'ait pas fait attention, ou qu'il cède à la politesse et fasse semblant de ne pas avoir entendu. Il la provoqua une fois de plus. « Ne m'appelle pas comme ça. Quand bien même ce serait vrai, tu n'en as pas le droit. » Il lui adressa un sourire victorieux et elle sut que la partie était perdue d'avance. Elle était en train de le croire. Elle était en train de lui faire confiance. Sauf qu'elle était bien trop fière pour le lui faire savoir, et elle ne trouva pas mieux pour le contre-attaquer que de décrire son père en des termes pas particulièrement élogieux. « Peut-être. Mais ça aurait pu être la tienne. Et ta vie ne serait peut-être pas ce qu'elle est si ça avait été le cas. »
Son sourire ne faiblissait pas, et ça l'irritait. Elle avait la désagréable impression de faire une partie de poker avec quelqu'un qui n'avait sorti que des cartes faibles jusque là mais qui cachait depuis le début un as dans son jeu. Déstabilisant. « Parce que maintenant, c'est ma faute... Lui, par contre, ne pouvait pas rêver d'une meilleure fille. Riche et célèbre. Combinaison gagnante, et il est venu récupérer son lot, le ranger aux côtés de ses autres trophées, et laisser toute sa petite famille le contempler... Je ne sais pas pourquoi, mais je pense au contraire qu'on ne se serait pas entendus du tout. » Charlie était passée en mode « insultes voilées et sous-entendues ». Une main de fer dans un gant de velours. Elle détestait qu'on agisse ainsi avec elle, mais ne se gênait pas pour autant pour le faire subir aux autres. Ce qui ne parut pas plaire plus que ça à Nathaniel, qui sans plus de cérémonie, se leva, et posa une carte de visite sur la table de l'actrice après l'avoir sortie de son portefeuille. Son regard ne se posa qu'une brève seconde sur le rectangle en papier, et elle reporta à nouveau son attention sur son soi-disant demi-frère, qui avait bel et bien l'intention de partir. L'ahurissement prit peu à peu possession de ses traits, mais elle ne tenta rien pour le retenir, et après avoir lancé une remarque teintée d'ironie, il sortit.
Restée seule, elle jeta un coup d'œil à la carte. Qui lui apprit qu'effectivement son patronyme était le même que le sien et qu'il était avocat. Deux informations à l'apparence anodine, mais qui en réalité ne l'étaient pas. Dans un flash, elle revit sa mère, devant la télé, râler en regardant un inconnu donner une interview. Elle avait dit – ou plutôt craché – qu'il aurait mieux fait de s'occuper des problèmes de sa famille plutôt que de se pavaner devant des caméras. Charlie n'avait jamais compris pourquoi sa mère s'était autant énervée contre un pauvre type qui ne faisait que répondre à des questions, mais maintenant, elle ne pouvait s'empêcher de faire le rapprochement. Sa mère le savait. En gros, tout le monde était au courant sauf elle. Génial. Elle se leva et sortit à son tour de la loge, mettant de côté toute fierté et dignité pour rattraper Nathaniel. Elle le trouva non loin du parking, et le retint par le bras. « Une minute. J'ai des questions, moi aussi. »

Charlie & Nathaniel

Cette situation lui paraissait davantage floue et confuse. Plus encore que lorsqu'il avait appris cette nouvelle surprenante à la radio. Ce départ en fanfare de la loge de sa prétendue soeur s'apparentait plus à une fuite en réalité. Nathaniel fuyait ce qu'il avait lui-même provoqué. Ignorant ses dernières vindictes à l'égard de son père - leur père - Nathaniel quitta la loge de Charlie avec la certitude d'avoir insinué le doute en elle. Mieux encore, il avait remporté ce duel des égos. Le sien s'en retrouvait davantage démesuré tandis que celui de Charlie devait pâtir d'une certaine contrariété. Ce sentiment d'extrême satisfaction vint inonder chacun de ses membres, chacun de ses traits. Son visage rayonnait d'une expression de bien-être inégalé. Oui. Malgré le poids conséquent de cette nouvelle, Nathaniel ne voyait-là qu'une énième réussite dans l'art particulier et délicat de l'échiquier humain. Certes, il devait l'avouer. Ce voile de satisfaction lui permettait de cacher un masque de tristesse et de rancoeur. Comment son père avait-il pu lui cacher une telle chose ? Nathaniel aurait compris qu'il le lui dise à un âge où son entendement serait certain. Il ne l'avait pas fait et l'avocat lui en voulait cruellement pour cela. Charlie était tout de même parvenue à marquer quelques points dans cette bataille présentement rangée. Elle avait même soulevée un point notable au ô combien blessant pour son interlocuteur. Son père - banquier à la retraite - l'avait-il réellement approché pour le simple appât de l'argent ? Nathaniel ne pouvait croire pareille idée. Jamais ni lui ni ses parents n'avaient manqué de rien. Cette histoire ne lui semblait avoir ni queue ni tête. Néanmoins, sitôt installé dans le confort de son bureau au centre-ville, l'avocat s'empresserait de mettre son ex-femme sur l'affaire. Il désirait - plus que tout - connaître l'histoire non officielle de sa famille. Et celle de Charlie également.
Cette dernière se manifesta à un moment où lui-même ne s'y attendait pas. En réalité, il en était même à se demander si sa carte de visite ne faisait pas déjà parti des déchets. Visiblement défaite de son assurance, Charlie le retint par le bras. Des questions. Elle qui souhaitait ne pas perdre de temps. Qu'importe. Evidemment amusé par ce retournement de situation - tout à fait à son avantage - Nathaniel la parcouru d'un regard moqueur avant de prendre la parole. En réalité, son manège consistait à attendre qu'une accessoiriste ne s'approche suffisamment d'eux pour l'entendre également. « Ecoute Charlie .. je t'ai déjà dit que j'étais pris alors n'insiste pas. » Fier de son petit manège, Nate croisa les bras sur son torse et regarda avec amusement l'accessoiriste revenir sur ses pas. Nul doute que cette situation factice ferait le tour du plateau de tournage avant même que Charlie ne le rejoigne. Poursuivant sa marche quelques mètres durant jusqu'à atteindre sa voiture, il s'appuya dos contre celle-ci et reporta son attention sur cette chère Charlie. « Qu'est-ce que ça fait ? Je veux dire perdre son assurance, ça n'est pas trop dur à supporter ? » Infime provocateur, Nate se plu encore à se jouer de Charlie et de ses limites. En toute impunité. Que pouvait-elle faire ? Tous deux savaient qu'il était en position de force, aussi longtemps que Charlie aurait un besoin évident de réponses. « Je t'écoute Evans, qu'est-ce que tu veux savoir ? » Visiblement plus sérieux, Nathaniel lui adressa un regard qui se voulait raisonnable. Cette expression masquait une certaine appréhension, lui qui n'était pas sûr de détenir toutes les réponses. Il ne détenait pas l'entière vérité et, tôt ou tard, Charlie s'apercevrait de ses limites.

Il était vrai que Charlie avait un comportement plutôt déroutant, et on lui avait maintes fois reproché ses sautes d'humeur et ses décisions soudaines prises suite à on ne sait quelle autre lubie de son esprit lunatique. C'était vrai, oui, mais elle devait avouer que dans ce domaine, Nathaniel la battait à plate couture. Et c'était sans doute la raison pour laquelle elle se tenait là, plantée devant lui, plus perdue que jamais, et cherchant un sens à son « Ecoute Charlie .. je t'ai déjà dit que j'étais pris alors n'insiste pas. » qui l'avait plongée dans la perplexité. Elle ne voyait pas du tout quel était le rapport avec leur conversation, et cette phrase prononcée sur un ton condescendant empli de pitié lui faisait étrangement penser à un râteau. Ce qui était ridicule, sachant qu'elle ne lui avait jamais fait d'avances ou montré ne serait-ce qu'une once d'attirance envers cet homme qui semblait tout faire pour que la brunette le déteste. Elle s'apprêtait à demander un éclaircissement, lorsqu'une femme que Charlie reconnut étant une accessoiriste entra dans son champs de vision, avec la lenteur de celle qui essaye de se montrer discrète alors qu'elle ne l'est pas. Le regard de l'actrice fit la navette entre l'accessoiriste et son prétendu frère qui affichait toujours son insupportable sourire moqueur. C'était officiel, elle le détestait vraiment, maintenant qu'il avait lancé intentionnellement une rumeur à son propos. Il croyait peut-être que l'histoire ne se cantonnerait qu'au tournage, mais Charlie savait très bien que l'accessoiriste n'hésiterait pas à partager son invraisemblable histoire avec un ou deux magazines. « Tu es fier de toi, j'imagine? Donc, après l'actrice capricieuse qui plante son père en direct, je suis la fille qui court après les hommes plus vieux et pris. Merci, vraiment. Si tu voulais que je m'énerve, et bien, c'est réussi. » Elle avait essayé de masquer le brin de colère dans sa voix, et n'y était pas parvenue. Elle ne savait même pas pourquoi ça l'avait touchée, après tout, elle en avait vues de bien pires sans que cela ne la fasse jamais perdre son semblant de calme, et voilà qu'il s'amusait un peu et qu'elle partait au quart de tour. N'ignorant certainement pas les conséquences de son geste, il s'appuya contre le capot de sa voiture, et sans se départir de cet air infernal qui donnait juste envie à Charlie de lui mettre une gifle, il lança: « Qu'est-ce que ça fait ? Je veux dire perdre son assurance, ça n'est pas trop dur à supporter ? » visiblement dans le but de la provoquer. Encore une fois. La fois de trop. La jeune actrice n'était pas réputée pour être patiente, ni même polie ou posée, ayant au contraire pour habitude de devenir blessante et désagréable aussitôt qu'elle se sentait attaquée. Ravalant une insulte elle répliqua: « T'es un peu mal placé pour poser ce genre de questions. Tu peux te foutre de moi autant que tu veux, je te ferai remarquer que c'est toi qui a débarqué dans ma loge parce que tu avais trop peur que ton parfait papa chéri ne soit pas aussi parfait que tu ne l'aurais cru. » Elle n'était même pas certaine que ce qu'elle disait lui ferait quelque chose, et il était probable qu'elle paraisse plus pathétique qu'elle ne l'était déjà, mais elle pouvait difficilement s'arrêter. « Je ne suis pas la seule victime dans cette histoire, ne l'oublie pas. Parce que je serais prête à parier que je n'étais pas vraiment une enfant légitime, et après tout, c'est ta mère qui a été trompée, pas la mienne. D'ailleurs, comment a-t-elle réagi à la nouvelle? Ça a du être un choc, non, de découvrir que son mari avait eu une fille alors qu'ils étaient déjà mariés? » Elle hésita à en rajouter, mais se retint, se souvenant de la raison pour laquelle elle l'avait rattrapé. Elle voulait des réponses, et jusque là , personne n'avait su ou voulu lui en donner. Il était en quelque sorte son dernier espoir, mais elle doutait désormais qu'il veuille lui confier quoique ce soit. Elle poussa un long soupir, puis reprit, momentanément adoucie. « Je ne veux que la vérité, parce que tu vois, j'en ai ma claque des mensonges. » Elle s'appuya à ses côtés contre le véhicule, et se tut pendant une minute qui lui sembla interminable. « Pourquoi c'est moi que tu es venu voir? » Elle trouvait ça bizarre, en effet, qu'il se soit déplacé alors qu'il aurait très bien pu en parler directement avec son père – leur père, pour connaître la vérité, au lieu de réclamer des explications à une parfaite inconnue. Peut-être avait-il trop confiance en l'innocence factice de son paternel et pensait-il que l'interroger reviendrait à l'accuser? Elle le fixa, attendant sa réponse.