Kirkland et associés. Un cabinet d'avocat pourtant réputé mais qui ne recevait ni les louanges de la pression - toujours rangée du côté de la prosécution - ni de la population. Effectivement, qui remercierait un de leurs avocats pour vivre aux côtés de fraudeurs, dealers, violeurs, meurtriers et que sais-je encore ? Dans cette grande ville de Los Angeles, c'était la grande bataille entre le Bien et le Mal qui faisait rage depuis la création de la société. Il semblait même que l'industrie du cinéma était attirée par ce côté obscur, préférant une fin cruelle à ses protagonistes plutôt qu'une fin heureuse et émouvante. La société comptait cela comme une énième victoire. Et le fait que l'on parle d'elle, en bien ou en mal (mais surtout en mal!) réjouissait ses associés au plus haut point.
La fierté de Nathaniel avait atteint son paroxysme lorsqu'il avait été embauché. C'était une sorte de seconde famille, celle où il pouvait se comporter librement sans que cela soit mal interprété. En dehors, ses traits de caractère étaient mal vus, ici on accueillait Nate à bras ouverts.
Alors, pourquoi diable avoir embauché Diane ? Certes, il devait à contrecoeur reconnaître qu'elle était compétente mais il y avait d'autres avocates de son niveau qui couraient encore les rues. Diane n'était juste pas faite pour travailler à leur côté. Tel un espion envoyé par le camp ennemi, elle réfutait certains actes dont celui qu'elle reprochait présentement à Nathaniel. D'une manière qui, par ailleurs, ne pourrait qu'attirer la foudre. Diane était telle l'antithèse d'un système, prête à faire valoir sa voix pour opposer son veto. En définitive, elle était la personne à abattre pour Nathaniel. En réalité, il aurait pu la supporter sous son monstre d'indifférence si seulement elle ne venait pas lui reprocher de telles broutilles. Et, de surcroit, elle lui faisait perdre son temps. Bien que, il devait l'avouer, elle constituait une distraction de poids après plusieurs heures de travail acharné.

Pour tout dire, Nathaniel se souvenait vaguement de cette plaidoirie qu'il lui avait emprunté. C'était bien le mot : emprunté. Néanmoins, le jeune homme disait vrai. Son absence ne lui avait pas laissé d'autre choix que l'utiliser. Certes, il arrangeait plus ou moins les circonstances pour se donner bonne conscience mais il n'en restait pas moins que Diane était fautive également. Ne lui avait-on jamais appris à verrouiller la porte de son bureau lorsqu'elle devait s'absenter ? C'était bien la première chose à laquelle pensait Nathaniel lorsqu'il avait rendez-vous à l'extérieur. Même son assistance n'y avait pas accès .. bien que cela soit une autre histoire qu'il préférait garder secrète.

Une nouvelle fois, Diane ne pu s'empêcher de déverser toute sa colère dans une piètre tentative. Etait-elle convaincue que cela réveillerait une lueur d'humanité de la part de son interlocuteur ? Si c'était le cas, elle se fourrait le doigt dans l'oeil. Tout en récupérant sa place de maître des lieux dans son fauteuil en cuir noir, Nathaniel lui répondit avec une apparente lassitude. La distraction qu'elle représentait jusqu'à maintenant l'agaçait à présent.

- " Ma très chère Diane, dois-je te rappeler que je ne t'ai, à aucun moment, menti. Tu me n'as jamais parlé de ce dossier jusqu'à aujourd'hui .. et d'une façon que je désapprouve fortement. Mais comme tu as pu le constater, je n'ai pas cherché à nier les faits. Comme je te l'ai déjà dit, tu étais absente, j'en avais besoin, je l'ai pris. "

Dieu, cette femme l'insupportait. Le jeune homme pensait avoir gagné gain de cause et s'attendait à la voir prendre le chemin de la sortie. Cruelle erreur de jugement. Diane, dans tout ce qu'elle avait d'insupportable, sembla décider de pousser le bouchon un peu plus loin. Bien plus loin que la patience de Nathaniel ne pouvait le supporter. Finalement, elle se tût, plaçant une cigarette entre ses lèvres. Nate ne releva pas, habitué à fumer un cigare de temps en temps avec l'un des associés. Silencieux mais ô combien satisfait d'observer la colère que seul son comportement pouvait déclencher, Nathaniel attendit patiemment qu'elle ait terminé. Sauf qu'elle ne s'arrêta pas là. Sa cigarette vint joliment s'écraser contre l'un de ses dossiers, perçant même la couverture de celui-ci. Aussitôt, Nate emprisonna le poignet de la demoiselle de sa main gauche et s'assura une prise de taille. Là, elle ne le faisait plus rire et venait de déclencher sa colère. Sauf qu'il était bien plus intelligent qu'elle pour ne pas la laisser éclater au beau milieu de ce bureau. La porte était encore ouverte et Dieu sait qui pouvait les entendre.

- " On croirait entendre une petite fille privée de dessert. Tu utilises de piètres arguments pour me faire dire je ne sais quoi. C'est d'un pathétique Diane .. je pensais que tu pouvais mieux faire, après tout tu écris de bonnes plaidoiries. "

Relâchant brusquement son poignet jusque-là emprisonné, Nathaniel s'installa plus confortablement dans son fauteuil, inclinant légèrement celui-ci en arrière. Sans le savoir, Diane venait de faire une erreur dans l'échiquier machiavélique de son partenaire. Elle venait d'évoquer sa vie privée, du moins son droit à une certaine part de non-dit. Il n'y avait rien de plus amusant pour Nate que de chercher à savoir à quoi pouvait bien ressembler cette vie. Son imagination avait sacrément du mal à se représenter mentalement cette vie privée. Contrairement au détective à qui il parlait encore quelques minutes auparavant. Ce dernier lui devait un service, Nathaniel n'aurait donc pas à lui payer quoi que ce soit. Une bière peut-être, pour tout l'ennui occasionné après avoir filé une jeune avocate sans intérêt. Un fin sourire sadique prit place sur son visage, illuminant celui-ci d'une pointe joyeuse.

- " J'ignore ce qui te retiens encore ici. Contrairement à toi, j'ai beaucoup de travail et j'aimerai bien avancer sans être dérangé par une … une avocate mourante d'ennui dans son trou à rat. Je veux dire, dans son bureau. Excuse-moi pour ce lapsus. "

De toute évidence, Nate semblait lui laisser l'ascendant pour ce qui était du coup de la cigarette. Néanmoins, il n'était pas homme à oublier. Il avait la rancune tenace. Diane aurait mieux fait de le savoir ou de s'en douter.
Les mains jointes sous son menton, Nathaniel se laissa à une dernière remarque avant de contacter son assistante par l'intermédiaire du téléphone pour lui demander un café serré, ignorant ainsi superbement son interlocutrice directe.

- " Si tu apprécies tant ma compagnie, ai la décence d'attendre que je finisse ma journée. Et peut-être que j'accepterai d'aller boire un verre. "

Sous-entendant deux choses irréalistes en de pareilles circonstances : une amitié éventuelle et une invitation factice; Nathaniel accompagna cette dernière remarque d'un sourire hypocrite.