Samuel & Allen

Il y a des soirs où je regrette de ne pas être resté à regarder des émissions débiles à la TV. Ce soir en fait parti. J'ai eu le malheur de promettre une apparition à cette soirée de charité pour sauver la forêt amazonienne ou je ne sais pas quoi et me voilà entrain de discuter avec une jeune femme à peine plus âgée que mon fils et qui me drague légèrement. Elle m'expose son plan de carrière et n'arrête pas de faire référence à son père comme si ça pouvait changer quelque chose. Je l'écoute d'une oreille distraite en jettent quelques regards discrets vers le DJ. Un mec sacrément sexy que je me suis déjà tapé à une autre soirée de charité, il y a quelques années. Son regard croise le mien et il me reconnaît à son tour. Son sourire en dit long sur le souvenir qu'il a à propos notre partie de jambes en l'air. Je me concentre à nouveau sur Shanon ou Shane, je ne sais plus exactement. Elle m'explique que personne ne lui a encore fait de propositions intéressantes sauf un pervers pour un film érotique, mais il est hors de question que, blablablabla. Je l'interromps enfin.

- Le mieux, c'est que tu passes des castings. Fais toi repérer et on en reparle. Maintenant si tu veux bien lâcher mon bras, je vais me resservir une coupe de champagne.

Je n'accorde pas plus de deux secondes d'attention à ses lèvres entrouvertes et à ses yeux écarquillés. Je me détache de sa mains et de ses ongles manucurés puis me dirige vers un serveur avec un plateau, me saisis de deux coupes et direction les platines. Je n'ai pas à beaucoup insister pour qu'il trouve un remplaçant le temps de boire un coup avec moi. Il est toujours célibataire et il est toujours DJ des nuits hollywoodiennes. Il a aussi crée sa marque de vêtements et je ne lui avoue pas mais cela m'impressionne un peu. Lorsqu'il attrape ma ceinture et m'attire à lui je le repousse fermement : « Pas ici ! ». Comme par magie, il sourit et me tourne le dos. Je le suis direction les toilettes. Par chance nous ne croisons personne, mais cela enlève du piment à l'acte. Nous nous enfermons dans une cabine et nos lèvres se joignent furieusement. Alors que nous passons aux choses sérieuses malgré le manque d'espace, la porte des toilettes s'ouvre laissant entrer le boum boum des basses de la salle. Puis il s'atténue à nouveau lorsque la porte d'entrée se referme. Je lui met la main sur la bouche pour lui indiquer de ne pas faire de bruit. J'espère que ça ne va pas durer trop longtemps je suis dans une position délicate. Ils sont deux et ils discutent à voix forte. Ils rigolent trop grassement et je parie qu'ils sont pratiquement souls. Alors que je me sépare de Mr. DJ et que je remets de l'ordre dans mes vêtements tout en jetant la capote dans les toilettes, je lui fais signe de ne pas faire de bruit. De l'autre côté de la porte ça trafique de la poudre blanche, je l'entends. Alors que Mr. Dj entreprend de me faire un suçon dans le cou je le repousse sans bruit. Une désagréable sensation m'envahit. Je connais cette voix. J'essaye de la reconnaître, mais, sans que je m'y attende, Mr. DJ s'est lassé et sort de la cabine sans me prévenir. Il se recoiffe dans le miroir sans tenir compte des deux inconnus et sort des toilettes sans un signe pour moi non plus. C'est à mon tour de sortir. Je tire la chasse pour essayer d'évacuer le bout de latex souillé et me dirige à mon tour vers les lavabos. Les deux hommes sont silencieux et je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil dans le miroir pour associer la voix à un visage.
La correspondance ne se fait pas immédiatement. Il a énormément changé. Peut être parce que je le fréquentais à l'époque où il tournait et où il avait une maquilleuse sur le dos toutes les heures. Ou peut être que c'est à cause des poches qu'il a sous les yeux, des kilos qu'il a perdus, des cheveux ternes et mal coiffés, de la sueur qui perle sur son front. Je ne parle même pas de ses yeux rouge ou de ce qu'il essaye de cacher dans sa veste. Je baisse aussitôt les yeux et avant que Samuel ait eu le temps de dire un mot je me dirige vers la sortie des toilettes.

[…]

Je me suis à nouveau lancé dans une discussion pleine de superficialité avec un scénariste de mon agence que je croise à de nombreuses soirées et que je soupçonne de vouloir nous lâcher d'ici peu de temps. Quand je vois émerger Samuel des toilettes, il est seul, et je m'excuse auprès de mon binôme afin de le suivre. Il ne va pas loin et je m'assied à côté de lui au bar. Il me regarde mi surpris, mi apathique. Je suis légèrement déstabilisé. Il est clairement drogué, que faire ? Entreprendre une conversation normale avec lui ? Je vais faire comme si je n'avais pas remarqué, bonne technique.

- Bah dis donc mon pote, ça fait une sacré paye que je t'avais pas vu. Je te paye un verre ?

Cette soirée – Samuel le savait parfaitement – était une aubaine pour lui et ne pourrait lui faire aucun mal. C'est donc illico presto qu'il avait annoncé sa réponse positive à cette fille lui servant occasionnellement de plan cul. Fille qui elle, était tombée amoureuse de l'alcoolo-dépressif et qui croyait en leur futur mariage. Mais bref... Sam était loin de se douter que son coup d'un soir était écolo jusqu'au bout des ongles et qu'il allait atterrir en plein dans une soirée de charité pour venir en aide aux arbres de la forêt amazonienne. C'est donc avec un sérieux impressionnant et une énergie digne des plus grands drogués, que Samuel se mit à la recherche de la tenue parfaite. Avouant que cette chère Sydney - mannequin de son état - était une pro niveau mode, il accepta bien volontiers ses conseils avisés et c'est un Samuel oublié depuis longtemps qui refit surface. Se regardant dans le miroir, il eut cette étrange impression de retrouver son bonheur d'avant, bien que les stigmates de la dépression, des drogues et de l'alcool fussent encore présents sur son visage. Se surprenant à sourire à nouveau, il espéra de tout cœur que rien ne vienne entacher ce bonheur éphémère retrouvé.

[...]

-Tu parles, j'ai jamais demandé à être dans cette putain de soirée. C'est Sydney qui m'a emmené jusqu'ici. Fin au début quand elle m'a demandé j'ai dis oui de suite, mais elle avait oublié de me préciser que c'était une soirée de charité pour sa foutue forêt amazonienne.
-Bin c'est bon pour nous qu'on nous voient là. Nous autre les acteurs avons besoin d'être vu, oh ! y a pas n'importe qui ici tout de même.
-Tu me fais bien rire avec «tes acteurs» John. Tu aurais plutôt dû dire loosers.

Oui, John était tout comme Samuel Lloyd, un rêveur américain et tout comme son compatriote anglais, il rêvait de (re)toucher le monde du cinéma.

-Ne dis pas n'importe quoi Alfie.
-Ah merde hein, m'appelle plus par mon deuxième prénom, je ne le supporte plus.
-Toi qui l'aimait tant pourtant du temps d'Oxford.
-Oui bin ce temps-là est révolu. Définitivement terminé et oublié.
-Oublié ? Tu en es sûr ?
-John ta gueule sérieux. J'suis pas là pour discuter tranquillement du passé avec toi.
-Je t'avais pourtant mis en garde à l'époque tu te souviens ?
-Oui et je ne t'ai pas écouté. Tu es content de pouvoir me dire que tu me l'avais dit ?

John et Samuel se connaissaient depuis maintenant neuf ans. Dès leur première année d'études à Oxford, ils avaient sympathisé et étaient devenus meilleurs amis. Rien ne les avait séparé, pas même la dépression et l'enfermement de Samuel, qui était ensuite parti pour les USA. Désireux de remettre Samuel sur pieds, John avait tout plaqué à Londres pour le suivre à Los Angeles et l'aider à se sortir de cette merde infâme et par la même occasion, lancer sa carrière d’acteur.

-Excuse... Tu sais à quel point ça m'a rongé et ça me ronge toujours de te voir dans cet état. T'es comme mon frère...
-J'le sais parfaitement va. C'est pour ça qu'on est toujours amis. Mais j'aurais préféré que tu m'appelle Bosie et non Alfie.

Rigolant légèrement, John mit une main amicale sur l'épaule de Sam.

-Boucle d'or est nostalgique ?
-Boucle d'or t'emmerde mon pote.

Et se regardant dans les yeux, ils partirent d'un fou rire que seuls eux pouvaient comprendre.

-Et sinon ta copine... Sydney c'est ça ? Elle est où ?
-C'est pas ma copine. C'est jute un plan cul quand j'en ai envie. Pfff elle doit encore être fourrée dans les pattes de l'un de ces agents...

C'est bien une bonne vingtaine de minutes plus tard, que Samuel et John se rapprochèrent des toilettes. La main dans la poche de son jeans, John avait un sourire en coin et Sam commençait à légèrement trembler par le besoin urgent de drogue.

-Sérieux t'es trop con quand tu t'y met Sam. Dans le genre, t'es le meilleure.

Rigolant pour un rien, l'alcool avait prit la totale possession de leurs esprits.

-Allez grouille au lieu de dire des conneries John. J'en peux plus moi.
-T'as vu ce que je fais pour toi quand même hein ?
-Oh arrête ton cinéma hein. T'es bien content aussi.
-On peut rien te cacher à toi.

John sortit deux petits sachets transparents et en lança un à Sam qui le rattrapa au vol. Heureusement, cet hôtel se voulait propre. La plaquette accolée à la glace du lavabo ferait parfaitement l'affaire.

-Passe moi ta carte bleue John.

Passant sa main dans la poche arrière de son jeans, John en sortit sa carte et la passa à Sam, qui eut tout juste le temps de la cacher dans sa veste accompagné de son bonheur en poudre. Se raclant la gorge, il regarda le DJ, se recoiffer puis sortir des toilettes. Il était sur le point de ressortir son attirail, lorsqu'une seconde personne sortit de la même cabine. Lorsque Samuel rencontra les yeux de l'homme, il cru que son cœur allait s'arrêter. Depuis toutes ces années, il ne l'avait pas oublié. Lui qui avait fait de lui une star en devenir. Allen Sloan, le frère de l'agent de Sam. Ce dernier s'aperçut que son ancien agent l'avait reconnu et que ses yeux fuient son regard. Il n'a même pas le temps de parler, qu'il s'est déjà enfuit, retournant dans le boucan de la soirée. Presque déstabilisé, Samuel ne bouge plus.

-Bon t'attends quoi pour te le faire ce rail ? On a faillit se faire voir, ça te suffit pas ?
-Heu... Si, si...

Ouvrant le sachet, il laissa soigneusement tomber la poudre blanche sur la plaquette transparente et entreprit de faire une ligne parfaite grâce à la carte bleue. Toutefois, ses tremblements se faisant de plus en plus importants, la ligne ne présenta pas la forme voulu.

-'tain tu ferais quoi sans moi hein Sam ?

Lui prenant la carte des mains, John finit le travail commencé.

-Voilà c'est bon.
-Merci vieux.

C'est en se bouchant la narine gauche que Samuel se pencha légèrement et sniffa d'une traite. Penchant la tête en arrière, il ferma les yeux et renifla, puis se boucha le nez.

-Bon Sam, moi j'vais un peu voir si je trouve ma futur femme dans tout ça. Fais pas le con sans moi ok ?
-Ouais ouais t'inquiète.

Se lavant les mains, Sam se passa de l'eau sur le visage, puis fourra le sachet en plastique dans la poche de son pantalon et retourna au bar.
C'est avec nonchalance et surprise qu'il vit Allen s’asseoir à coté de lui.

-Bah dis donc mon pote, ça fait une sacré paye que je t'avais pas vu. Je te paye un verre ?
-C'est proposé si gentiment. J'peux pas refuser une telle offre. Dit-il en souriant. Et le regardant plus attentivement, il rajouta. Toujours sur L.A à ce que je vois dis moi.

- Toujours sur LA ? Bien sur où tu veux que j'aille ? Toi par contre j'imaginais que tu cèderais à l'appel de ton île maudite !

A l'époque où nous étions presque devenus ami, nous avions beaucoup parlé. Je lui avais raconté mon divorce et lui m'avait parlé de toutes ses mésaventures sentimentales. Nous avions pris l'habitude de nous charrier là dessus pour dédramatiser nos situations mais depuis de l'eau était passée sous les ponts et je ne sais pas s'il est d'humeur à plaisanter ce soir, et surtout dans son état. Je commende un martini et demande qu'on serve la même chose à Samuel. Je jette un coup d'œil du côté de monsieur DJ mais il a repris ses platine et semble dangereusement possédé par le démon de la musique. Mes doigts se mettent à pianoter nerveusement sur le bar et mon genou entre en action dans des pulsations folles. J'ai du mal à rester assis comme ça sur un tabouret et je le sais. Je change de position et essaye de faire abstraction de son regard vague quand je lui adresse à nouveau la parole.

- Bon alors, c'est ma petite soeur qui se charge de toi maintenant, si je me souviens bien ? Tu as de la chance, elle est la meilleur. Si tu voyais la bande de bras cassés qui se prétendent agents qu'on a à chaque recrutement. On est au obligé de prendre le moins nul plutôt que le meilleur. M'enfin tout ça pour dire que tu as de la chance de t'être retrouvé avec Jamie.

Bon pas que je veuille faire digérer le fait que je l'ai lâché des années plus tôt quand j'ai commencé à avoir de plus gros clients, mais s'il réalisait la chance qu'il a d'être représenté par ma sœur ça serait cool. D'autant plus que Jamie n'est pas du genre à faire n'importe quoi avec ses clients. Ses clients par contre se retrouvent totalement défoncés dans des galas de charités et ça me plaît moyennement. L'image de la boîte est en jeu au même titre que celle de la personnalité. Si Samuel Lloyd est repéré défonce, il n'est pas impossible que le Sloan Group en soit lésé, et je ne laisserais pas cela arriver. Sans que je le veuille vraiment les mots sortent plus violents que je l'aurais voulu.

- T'as pris quoi comme merde ?

Spoiler:

-Toujours sur LA ? Bien sur où tu veux que j'aille ? Toi par contre j'imaginais que tu cèderais à l'appel de ton île maudite !
-Mon île maudite comme tu dis, j'y suis retourné lorsque nos chemins se sont séparés cher Allen. Je me devais de terminer mes études de lettres à Oxford. Ça fait un an que je suis sur L.A et je dois dire que c'est à mon plus grand regret mais bon...

Lorsque Samuel vit arriver son Martini, il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Tout d'abord car l'alcool il adorait ça et il fallait avouer que le Martini faisait tout de même classe. Certes ce n'était pas un bon champagne français qui coûtait des fortunes, mais c'était toujours mieux que les canettes de bières et les bouteilles de vodka qu'il pouvait vider au cours de la journée.

-Bon alors, c'est ma petite sœur qui se charge de toi maintenant, si je me souviens bien ?
-Oui tout à fait. C'est bien ça.
-Tu as de la chance, elle est la meilleure.

D'un ton las, Sam ajouta.

-J'ai peut-être de la chance, mais pas elle. Elle est tombée sur le pire des clients.

Son regard vague se posa sur la poche de son cardigan et il en sortit un paquet de clopes presque vide. Soupirant à la vue décroissante de ses cigarettes, il en sortit une qu'il plaça entre ses dents et l'alluma. Par la suite, il tendit le paquet vers Allen.

-Cigarette ?
-Si tu voyais la bande de bras cassés qui se prétendent agents qu'on a à chaque recrutement. On est au obligé de prendre le moins nul plutôt que le meilleur. M'enfin tout ça pour dire que tu as de la chance de t'être retrouvé avec Jamie.
-Oui je comprends. Mais les clients ne doivent pas être terribles non plus si ? Sinon ils feraient déjà carrière à Hollywood soyons francs.
-T'as pris quoi comme merde ?

Souriant légèrement, Samuel lui demanda.

-Pourquoi t'en veux ? C'est de la coc mon vieux... Juste ce qu'il faut pour être zen et ne penser à rien. Tu vois là, j'suis bien. J'me prends pas la tête avec des conneries.

Sa cigarette entre l'index et le majeur, il prit son verre de Martini et en but une gorgée. Devenant subitement sérieux, Sam regarda son ex-agent dans les yeux.

-Allen, Allen... Tu me connais. Tu sais on se disait pas mal de choses à l'époque. Tu dois être au courant que ma vie n'a pas prit la tournure que j'esperais. Donc s'il te plaît, ne me juge pas. J'suis pas con tu sais. Même défoncé, je reconnais un regard de reproche ou une voix peu amicale.